La sourde violence des rêves : Extrait 1

Page 33 : Tshepo


Je nous imagine nous baladant à Sea Point, je repense aux propos de Mmabatho sur cette histoire de couleur. Il y a des lieux au Cap où tout le monde se moque que tu sois noir et que ta mère t’ait envoyé dans une école privée pour parler correctement. Où tout le monde se moque que tu sois blanc et que ton père insulte ses collègues au boulot et les traite de kaffirs, de nègres, à la maison. 

Sur le dance-floor, peu importe le parti pour lequel tu as voté aux dernières élections ou si tu sais combien de provinces compte le pays. La seule chose qui compte, c’est ton look et ta façon de danser. Ce qui compte, c’est de porter des jeans Soviet avec une chemise Gucci et d’avoir un joli petit cul. C’est que ta copine ait un piercing sur la langue et que parfois le samedi soir, elle s’envoie en l’air avec une autre fille en te laissant les regarder. C’est de porter des jeans Diesel avec une chemise rétro et des baskets Nike. C’est la créativité avec laquelle tu mélanges des vêtements de centre commercial avec des fripes dénichées aux puces tout en ayant du style. Les marques de fringues sont le nouvel esperanto. Dolce & Gabbana, ça assure plus qu’une déclaration des droits de l’homme. Il y a des boîtes où tu peux te faire brancher juste parce que tu connais la drum & bass et que tu es sexy en dansant dessus, pas parce que tu appartiens à un certain groupe racial. L’important, c’est que tu racontes ton expérience d’une demi-dose d’acide après un samedi soir arrosé à la tequila. Ou si tu sais où il faut aller pour en savoir plus sur Jamiroquai. L’important, c’est de vivre à fond son voyage au bout de l’excès, façon Trainspotting, dans un monde où les frontières entre township et banlieue nord se gomment à toute vitesse. Les gens que je connais n’oublient jamais que la différence essentielle entre kwaito et rave, c’est le nombre de beats à la minute, et que cette différence tend à s’amenuiser.


La sourde violence des rêves

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